5 juin 2010

S'il vous plait, rendez a Zoubeir Turki son rouge ocre !

Cet autre mur intriguait, dérangeait peut être, choquait même probablement. Mais il a fini par s’imposer et par faire partie du paysage environnant qui n’a jamais, lui, fini de changer.
Avec le temps ce mur rouge ocre s’est enraciné dans son cadre urbain et y est devenu un repère, une marque, un signe distinctif … un monument à part.
Je crois bien que c’était au début des années 1980, que ce mur rouge ocre a accroché mon regard pour la première fois.
Marrakech à Chouchet Rades ?!Ferme ancienne sortie du rêve d’un colon ayant du mal à faire la part des choses et de réaliser qu’il est à Tunis et non pas dans un conte des Mille et Une Nuits ?! Résidence beylicale qu’on voulait différente et originale ? Non, c’est surement le pied-à –terre d’un original, d’un artiste, d’un rêveur, d’un peintre ?!
Chaque fois où je pouvais montrer ce mur d’enceinte rouge ocre avec, en deuxième plan, des figuiers de Barbarie qui se mesuraient à lui tout en faisant semblant de vouloir le couronner, je le faisais de gaieté de cœur et tout en disant à quel point il m’attirait, me paraissait à la fois bizarre et bienvenu …
Mais je n’ai jamais osé me laisser emporter par ma curiosité et essayer de lever le voile sur ce mystère délicieux…
Jusqu’au jour où…
C’était au milieu des années 1990. Mon ami suédois Lasse, Abderrahmane pour les intimes, suite à un couscous bien arrosé que nous avons pris chez moi à Ezzahra se met à me raconter ses années de belle folie en Tunisie, particulièrement celles qu’il a passées à Ezzahra et Sidi Bou Saïd, me raconte ses soirées créatives avec les grands peintres de Tunisie et comment il s’est joint à eux pour créer leur association ou union, et me dit l’amitié profonde qui les avait réunis… puis subitement me demande, m’ordonne presque, de le conduire chez l’un d’entre eux qui n’habite pas loin et dont la maison est facilement reconnaissable.
Lasse avait oublié l’endroit exact ou la maison était. Il était toutefois sur" qu’elle était du côté de Ben Arous et qu’elle se distinguait par son originalité qui était due, peut être, à sa couleur."
Je l’avais donc conduit à Chouchet Rades. On s’était arrêté devant l’entrée latérale, et quoiqu’il était convaincu qu’il était bien devant la maison de son ami « qui surement ne dormait pas encore ». J’ai fini par freiner son élan en lui promettant de revenir ensemble.
Malheureusement, il ne m’a pas été donné d’honorer ma promesse.
Mais pas tout- à -fait. Puisque j’ai eu quand même l’occasion d’accompagner Lasse à la rencontre de Zoubeir Turki à l’occasion d’une exposition de Dhahak, mais à la Galerie Gorgi.
Et ce n’est que quelques années plus tard que j’ai osé franchir le portail (ouvert) et aller à la rencontre de Zoubeir Turki chez lui pour… tristement… lui faire part du grand depart de son vieil ami …
Depuis ce jour là, j’ai tenu, chaque fois ou j'ai eu l’occasion d’être avec des suédois, de leur parler de Zoubeir Turki, auteur de la statue d’Ibn Khaldoun, de leur raconter l’amitié qu’avait pour lui Lasse le suédois non moins tunisien puisqu’il s’est installé en Tunisie à partir de 1954 jusqu’ à la fin des années 1970 pour participer activement à la construction de notre jeune pays qu’il a appris à connaitre et à aimer suite à l’assasinat de Farhat Hached.
La dernière fois ou j’ai montré le mur d’enceinte rouge ocre à un suedois c’était en Octobre dernier, quelques jours seulement avant le grand départ de Zoubeir Turki. Mais il parait que cette fois était… la dernière.
Puisque le mur rouge ocre n’existe plus !
Si, le mur est toujours là à sa place. Mais, Zoubeir Turki parti, on a estimé opportun d’ôter son rouge ocre, de blanchir son mur et de peindre son portail latéral en bleu …
Personnellement, cela m’a attristé, plus même = cela m’a révolté… J’y ai vu une atteinte à deux monuments à la fois= au grand peintre et à son œuvre.
Ecoutons Zoubier Turki parler de son « rouge ocre » :
« C’est la couleur de la terre cuite, des kanouns (braseros), des tajine. Le blanc, c’est la couleur des tombes chez nous. La lumière, c’est la chaleur et la chaleur c’est la vie. » (in : Tunisiens d’exception : rencontres réalisées par Soufiene Ben Farhat et publiées par Cérès Editions. Tunis 2006)
Est-il encore possible d’espérer qu ‘on rende à Zoubeir Turki, mais par là à nous tous aussi, le rouge ocre de sa demeure-musée, ce rouge ocre si original, si distingué et si attachant ?!

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